La crise de leadership silencieuse

Une crise silencieuse de leadership sévit actuellement dans de nombreuses organisations à travers le monde. Les leaders peuvent-ils se permettre de ne rien faire?

Steffan Surdek
1 décembre 2016
Leadershipcrisis

Il y a de fortes chances que ton organisation vive présentement une crise silencieuse de leadership. L'arrivée d'une nouvelle génération sur le marché du travail et les besoins en mouvance des entreprises, dont les équipes de développement de logiciels qui passent en mode Agile et à son modèle de leadership au service des autres, forcent une vieille génération de leaders à faire évoluer leur style de leadership.

Cet article explore cette crise de leadership de plusieurs angles différents et tentera de mettre en lumière comment les leaders peuvent réfléchir à leurs comportements et considérer de nouvelles possibilités.

Leadership et directivité

Dans plusieurs entreprises, le mot « leadership » est associé avec des gens qui sont forts, directifs et qui font avancer les choses. La culture de ces entreprises fait la promotion des personnes qui agissent de la sorte pour obtenir des résultats.

Lorsqu'on regarde de plus près les équipes de leadership qui travaillent dans ces entreprises et qu'on écoute leurs histoires, on se rend compte qu'elles font partie d'un cycle qui se perpétue. Par exemple, un chef de département en poste depuis longtemps a appris ce comportement de son patron alors qu'il commençait dans l'entreprise. Il agit peut-être encore de cette manière avec son patron maintenant et pense que c'est la bonne façon de faire. Parce que ce comportement est « normal » pour lui, il travaille de la même manière avec sa propre équipe de leadership et leur apprend les mêmes comportements.

Il peut y avoir un côté réconfortant avec des figures de leadership aussi fortes et directives. Ça peut également créer un effet secondaire intimidant : les employés deviennent réticents à prendre l'initiative de peur d'être rabroués, ridiculisés ou blâmés pour un échec.

En tant que consultant, je commence souvent mes mandats en faisant une évaluation de ce qui se passe dans l'organisation de mes clients. Au cours de cette phase, il y a souvent une polarité intéressante qui apparaît.

L'équipe de leadership déplore le fait que de nombreux employés semblent détachés de leur travail, sont désengagés ou ne prennent aucune initiative. Pendant ce temps, les employés me racontent le manque d'ouverture, la directivité et le contrôle que la direction exerce sur eux. Ce n'est pas qu'ils ne veulent pas prendre l'initiative, mais indirectement ils sont conditionnés à ne plus essayer.

Lorsque je rapporte ces faits à l'équipe de leadership, ils reçoivent l'information, puis ils rétorquent qu'ils doivent agir de cette manière à cause du manque d'engagement et d'initiative de la part des employés. C'est une perception qui à son tour perpétue le cycle et la culture en place.

Leadership et authenticité

Il existe toute une génération d'hommes en ce moment qui ont grandi à une époque où les « vrais hommes » ne montraient pas leurs émotions et ne révélaient jamais leur vulnérabilité. Plusieurs hommes dans la plus vieille génération de leaders ont été formés par ce moule.

L'un des défis auxquels cette génération d'hommes est aujourd'hui confrontée est qu'il y a un nombre croissant de femmes qui assument des rôles importants de leadership. Dans un passé pas si lointain, ces femmes étaient une petite minorité et elles devaient s'adapter à la culture majoritairement masculine qui les entourait, mais c'est de moins en moins le cas. Lors de mes conversations récentes avec ces leaders masculins, nombreux sont ceux qui comprennent qu'il leur est également nécessaire de changer, mais ils ne savent pas comment faire ce changement, et cela leur crée beaucoup d'inconfort.

Un leadership authentique veut dire qu'en tant que leader, tu peux exprimer à tes équipes que tu n'as pas toutes les réponses et que tu as besoin de leur aide. Un leadership authentique veut dire que tu reconnais l'impact que tu peux avoir sur les gens autour de toi et que tu t'excuses ou que tu fasses amende honorable pour les actions que tu regrettes.

Dans le cadre de mon travail, je vois et j'entends de nombreux leaders porter des jugements sur les accès d'émotions de leurs employés. Ils ne reconnaissent pas comment leurs paroles ou leurs actions (ou leur absence d'implication) dans une certaine situation dans le passé ou le présent ont contribué à ce ressenti.

Incarner les valeurs de l'entreprise

Dans de nombreuses organisations, on peut lire les valeurs de l'entreprise sur l'intranet, mais comment les leaders incarnent-ils réellement ces valeurs au quotidien lorsqu'ils interagissent avec leurs employés?

Dans les entreprises qui tentent d'adopter des pratiques Agiles, de nouvelles valeurs doivent émerger. Si tu es le leader d'une équipe Agile, tu dois pouvoir responsabiliser tes équipes et leur faire confiance pour prendre des décisions. C'est l'un des facteurs clés de succès dans la formation d'équipes performantes.

Je rappelle souvent à mes clients que pour être Agile, il ne suffit pas de penser à ta liste de tâches. Tu dois vraiment incarner les valeurs dans chacune de tes actions au quotidien, que ce soit avec tes employés ou tes partenaires d'affaires. Par exemple, si tu dis que l'une de tes valeurs est de responsabiliser tes employés, comment ça se joue dans tes interactions avec eux au jour le jour?

Le vrai changement commence quand les leaders incarnent les valeurs qu'ils disent promouvoir.

Voyons rapidement comment ça pourrait se dérouler. Imagine une équipe composée de personnes qui travaillent dans une entreprise depuis très longtemps. Pendant tout ce temps, les leaders ont conditionné leurs employés à suivre les directives et à faire ce qu'on leur disait, sinon...

Imagine maintenant que cette même équipe entende parler d'une de tes valeurs de responsabiliser tes employés. Réfléchis à ce qu'ils ressentent lorsque les mêmes leaders qui se sont comportés d'une certaine façon pendant toutes ces années leur disent soudainement qu'ils peuvent commencer à prendre des décisions concernant leurs projets. La dure vérité est que c'est très contre nature au début pour les deux camps et, d'après mon expérience, certaines choses ont tendance à se produire :

  1. Après un certain temps, l'équipe commence à prendre des décisions. Les leaders tiennent leur parole et les laissent prendre des décisions et apprendre de celles-ci.
  2. L'équipe prend des décisions et les leaders renversent régulièrement les décisions avec lesquelles ils ne sont pas d'accord.
  3. Les dirigeants sont sceptiques et frustrés par la lenteur de l'ensemble du processus et reviennent à leurs anciens schémas avant que l'équipe n'ait vraiment la chance de commencer à prendre des décisions.

En tant que leader, lorsque tu agis comme si les valeurs inscrites sur le mur du bureau ne s'appliquaient pas à toi, ça a un impact important sur tes employés ainsi que sur ta propre crédibilité.

Gens d'affaires assemblant un casse tête

L'art de la co-création

Dans certaines entreprises, les leaders peuvent avoir du mal à participer aux conversations à cause de la façon dont ils influencent la conversation. Lorsque tu parles, les gens ont-ils tendance à acquiescer, alors tu te retrouves à parler en dernier pour permettre à tout le monde de parler? Ironiquement, ça te donne aussi le dernier mot.

Une situation similaire que je vois dans certaines cultures est celle des équipes qui refusent de prendre des décisions et se tournent systématiquement vers leurs dirigeants pour savoir quoi faire. Le paradoxe est que lorsque ça se produit, comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est souvent parce que les leaders ont conditionné leurs employés à agir de cette manière. Dans un monde où ces leaders tentent désormais de responsabiliser leurs équipes, ça devient frustrant, car les dirigeants se sentent coincés entre l'arbre et l'écorce. Ils peuvent se demander s'il vaut mieux pour eux de reprendre la situation en mains ou de laisser l'équipe se débrouiller toute seule.

Si tu es un leader dans une telle situation, le défi pour toi est d'apprendre à t'engager activement dans ces conversations comme n'importe quel autre participant dans la salle. Tu dois trouver le bon équilibre entre aider l'équipe à avoir les bonnes conversations et appuyer ton point de vue pour réorienter une discussion qui déraille. Bien que la conversation puisse te sembler désordonnée et pénible, les équipes doivent apprendre à traverser cette phase pour devenir plus productives et s'approprier davantage leurs décisions.

Comment peux-tu suggérer une idée et en même temps permettre aux autres de la changer ou de la rejeter? Comment peux-tu apporter tes points dans la conversation d'une manière qui soutient l'équipe et leur laisse de l'espace pour poursuivre la discussion?

Co-créer avec ton équipe
signifie que tu travailles avec eux pour trouver la bonne solution à leurs problèmes. Ça veut aussi dire que ceux qui co-créent s'approprient les idées, ce qui donne un plus grand engagement et de meilleurs résultats.

Co-créer avec ton équipe veut dire que tu es ouvert à entendre leurs idées et à adopter une solution autre que la tienne.

Le leadership au service des autres et ses limites

Avec les équipes Agile, on parle de leadership « au service des autres » ou « collaboratif », mais ces termes sont souvent mal compris. Dans mon expérience de travail dans de grandes entreprises, j'ai vu des leaders hésiter à influencer une décision d'équipe ou à s'exprimer, car ils sont convaincus qu'ils doivent se taire pour laisser l'équipe décider.

En tant que leader, tu dois prendre certaines décisions et en déléguer d'autres. Ton rôle en tant que leader au service des autres est d'être clair sur les moments où tu délègues la prise de décision, où tu dois être impliqué et où tu dois prendre des décisions. Dans les moments où tu as délégué la prise de décision, tu dois endosser certaines décisions de l'équipe, même lorsqu'elles ne correspondent pas à la décision que tu aurais prise. Ce qui implique que tu permets à l'équipe de potentiellement échouer et d'apprendre de ses erreurs.

Si tu fais partie d'une nouvelle équipe Agile, je te conseille de commencer avec des décisions sur lesquelles l'équipe a un contrôle total. En prenant des décisions et en résolvant les problèmes dans les domaines qu'elle peut contrôler, l'équipe renforce sa crédibilité. Lorsque l'équipe a besoin de l’aide des leaders, ceux-ci se sentent plus en confiance en raison des antécédents de l’équipe.

Direction et leadership

Jusqu'à maintenant, j'ai utilisé intentionnellement les termes « leader » et « équipe de leadership » alors que j'aurais pu les remplacer par « gestionnaire » ou « équipe de gestion ». La vraie question est de savoir s'il existe ou non une différence entre ces termes.

La réponse dépend de la culture de ton entreprise. Lorsque les rôles et les hiérarchies comptent pour beaucoup, il n'y a pas vraiment de différence entre ces termes, ce qui crée des environnements avec beaucoup de leaders en dormance. Ces leaders en dormance ont beaucoup de capacités de leadership, mais ils ne sont pas dans une position hiérarchique où ils peuvent utiliser cette capacité. Ils se retiennent donc en raison d'expériences du passé, où ils ont été découragés quand ils ont essayé d'assumer leur leadership.

Pour en savoir plus à ce sujet, consulte notre ebook sur les 5 choses essentielles que les leaders en dormance doivent savoir pour éveiller leur leadership.

Dans un contexte où les effectifs se resserrent, les entreprises qui peuvent exploiter le pouvoir de tous les leaders de l'organisation, qu'ils soient hiérarchiques ou non, disposent d'un énorme avantage concurrentiel sur le marché.

Les leaders créent des leaders autour d'eux. Les leaders hiérarchiques doivent donc reconnaître que le leadership des autres n'est pas nécessairement une menace pour le leur.

Conclusion

La nouvelle génération veut un équilibre entre la vie personnelle et le travail, ainsi que des leaders inspirants qui les allument et les motivent. Dans le contexte moderne, les valeurs de l'entreprise doivent vouloir dire quelque chose. Les gens ont besoin de voir leurs leaders incarner ces valeurs chaque jour.

Le style de leadership de commande et de contrôle était efficace dans le passé. Mais ce n'est plus le cas pour les leaders qui cherchent à créer des équipes Agile hautement performantes avec des employés engagés, motivés et responsabilisés. Une transformation Agile signifie que tu dois changer en tant que leader, et la culture d'entreprise peut également devoir changer.

Si tu es un leader dans une entreprise qui a une culture de contrôle, tu dois reconnaître quand l'impact du passé se manifeste dans le présent et entrave tes efforts de transformation. Si tu peux reconnaître cet impact tout en montrant un alignement entre tes paroles, tes actions, ton intention et ton désir de changement, tu obtiendras de la traction beaucoup plus rapidement.

Apprendre à devenir un leader au service de ton équipe Agile, ça veut dire trouver des moyens de créer un espace qui habilite et exploite les connaissances et les compétences collectives dans l'équipe. Devenir un tel leader signifie aussi accepter que le leadership des autres ne constitue pas une menace pour ton propre leadership.

Résoudre la crise du leadership exige également que les leaders aient le courage de se montrer avec authenticité et vulnérabilité. C'est tout un défi pour une génération plus âgée de leaders habitués à un style plus hiérarchisé. Mais dans un paysage compétitif qui évolue si rapidement à l'échelle mondiale, ton entreprise peut-elle vraiment se permettre de ne rien faire pour résoudre la crise?


Cet article a été publié à l'origine sous la catégorie Executive Update dans le Cutter Consortium d'avril 2015.